Inceste : Les mille et une nuits de 6,750 millions de français

Une goutte de sang pénètre dans un verre d’eau pure, se dilue brutalement et le colore d’un voile obscur. Des années ont passé; le voile est toujours là.

Inceste.

En France, 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13, sont victimes de violences sexuelles avant l’âge de 18 ans, sans que l’entourage en ait conscience[2]. C’est-à-dire, sans que vous et moi ne voyons rien.

Lors du prochain réveillon de Noël, l’un d’entre nous pourrait donc être assis à côté d’un grand-père, d’un père ou d’un oncle qui, un jour, a pris pour cible une petite fille, et pour proie son entre-jambe, sa poitrine ou sa bouche.  

Cela ne peut pas arriver chez vous, me direz-vous ? Détrompez-vous. Les fantômes sont nombreux dans les familles. L’inceste contamine toutes les familles, touche tous les milieux, toutes les personnes, tous les enfants. Il n’a ni genre, ni classe, ni scrupule. 84% des situations d’agressions sexuelles sont commises par des proches.[4]

« Aucun milieu n’est épargné…/… il peut y avoir des tyrans partout »[3]

 

Où commence l’inceste ?

On croit souvent que l’inceste c’est un père qui viole sa fille, mais l’inceste ne se limite ni à la pénétration, ni aux relations père-fille.

Mon oncle justifiait de prendre son bain avec moi parce que ça allait plus vite. Au début, il me savonnait. Ensuite, il me demandait de le savonner. Jusqu’au jour où il m’a dit qu’il allait me montrer un truc qui monte et qui descend. C’était l’été, dans notre maison de Belle-île-en-mer. Il a pris ma main, l’a enroulée autour de son sexe et m’a demandé de faire des va-et-vient. J’avais dix ans.

Si certains d’entre nous voient dans ces déclarations, assez courantes dans nos cabinets, un jeu de « touche-pipi », à l’instar de Dorothée Dussy, j’y vois « un registre de relation sexuelle construit sur le mode de l’abus de vulnérabilité, la domination et l’humiliation qui ne peut être réduit à un jeu. »[5]

Certains hommes ont une inimitable façon d’utiliser un corps, d’y pénétrer par effraction en poussant de petits cris de bonheur et de continuer leur vie sans douter qu’ils viennent d’en prendre une autre.

Les abus incestueux vont du viol génital aux fellations, en passant par tous les actes incestueux touchant la propre chair de l’enfant, sa peau, sa bouche, sa poitrine, son sexe, etc… Mais ils incluent aussi les climats incestueux que certains adultes laissent planer dans les couloirs de leur maison. Exhibition, insinuations, initiations, impudeur, attitudes, gestes et regards déplacés… faisant de l’enfant la victime directe de violences sournoises, invisibles et silencieuses qui l’angoissent et le piègent dans un malaise indescriptible.

 

Pourquoi le silence est la règle ?

Si vous et moi ne voyons rien, c’est que l’omerta est la règle. On vit dans le silence pendant et après l’inceste.

« Tout inceste fait alliance avec le déni à travers une technique, celle du non-dit. »[10]

Le silence s’impose comme une évidence par le déni sociétal, la folie familiale mais aussi par l’incapacité de l’enfant à mettre des mots sur des gestes sexuels qu’il ne peut ni comprendre ni se représenter.

Une petite fille de 10 ans n’a que la confusion et la sidération pour accueillir le stress extrême qui l’envahit au moment où son corps est pris pour cible. Quand on est enfant, nous n’avons pas les mots pour dire l’effroi ressenti quand un oncle nous met son sexe dans la main ou dans la bouche. Il faut des années aux victimes pour formuler et se formuler les agressions à répétition qui les ont brisées.

 « La pratique de l’inceste est protégée par l’absence de mots pour le décrire. »[6]

Quand les instances censées protéger les plus vulnérables sont dysfonctionnelles, l’enfant n’a plus rien à quoi s’accrocher. Il n’a plus d’issue pour sortir du secret et des menaces qu’on lui impose. Il se retrouve dans une impasse. Il apprend la soumission et la résignation sous l’emprise de l’oppression et de la terreur. Il grandit dans l’angoisse d’une porte qui s’ouvre ou d’une fessée érotique. Il devient hyper-vigilant. L’anticipation remplace l’insouciance.

 

En gardant le secret, l’omerta empêche le crime.

Ce n’est pas tant l’inceste qui fait souffrir que le silence qui masque le crime.

Si les victimes ont souvent parlé, l’écoute, elle, a souvent manqué. De Barbara, à Niki de Saint Phalle, en passant par Violette Nozière, Flavie Flamant ou Camille Kouchner prenant la parole pour son frère, les victimes ont maintes fois dénoncé l’inceste à une société qui semble, pourtant, à chaque fois redécouvrir le sujet. Mais pourquoi ?

 

Pourquoi collaborons-nous au système inceste ? 

Par peur. Par amour. Par idéal.

Par peur, parce que l’inceste touchant à la famille, nous ne voulons pas reconnaître la souillure qui infecte les murs de nos maisons. Nous préférons la lâcheté à la vérité.

Avec l’inceste en arrière-plan, la famille, censée offrir la sécurité matérielle et affective, mais surtout l’identité à son enfant, devient le noyau de la violence et de la déshumanisation.

La famille devient le monstre au sein duquel peut avoir lieu un génocide identitaire, pour reprendre l’expression du Docteur Hélène Romano.[7]

En jetant la suspicion et de discrédit sur l’histoire familiale, sur le nom que nous portons, sur les proches que nous aimons, sur les pères, les mères ou les frères que nous admirons, nous mettons en péril nos propres repères. En dévoilant l’indicible, en le dénonçant, en le disant, nous prenons le risque de la honte, du rejet et de l’exclusion.

Par amour, parce que l’inceste est initié par un homme que nous aimons et dont nous voulons garder l’affection.
C’est ce que confirme Camille Kouchner quand elle écrit :

« Car à 14 ans et pour longtemps, j’ai préféré garder l’amour de mon beau-père plutôt que de m’en éloigner. »[8]

Par idéal, parce que nous préférons continuer à garder une certaine image de nos parents et de notre famille plutôt que de la voir se briser contre le réel.
Arnaud Desjardins résume parfaitement ce propos : « Nous voyons tout, toujours par rapport à nous, c’est-à-dire que nous ne voyons jamais rien. Et nous ne voyons ni que nous ne voyons rien, ni pourquoi nous ne voyons rien. Nous ne voyons pas l’autre parce que nous projetons notre ego sur lui. Les Écritures Védantiques répètent à satiété que le monde est irréel et illusoire.

Vous pouvez commencer à comprendre cela en réalisant que vous ne voyez jamais les autres et le monde mais seulement ce que vous pensez d’eux. »

Renoncer à parler, c’est renoncer au réel.

Pourtant, la parole est le seul moyen de « faire bouger des structures millénaires au sein desquelles on écrase les femmes et les enfants »[9]. L’inceste n’existe que parce que des années de patriarcat le perpétuent et qu’une majorité collabore. Faire en sorte que des hommes cessent d’utiliser leurs enfants comme des sextoys commence par donner la possibilité aux victimes de s’exprimer.

Plus nous aurons le courage de devenir celui ou celle qui trahit le secret, plus nous prendrons le risque d’être chassé du clan, moins la légende pourra se perpétuer.

83% des victimes ne sont pas crues et témoignent qu’elles n’ont jamais été reconnues comme telles ni protégées. Lever le voile obscur qui plane au-dessus de la vie de millions de victimes de l’inceste n’est possible que si au moment où elle parle, la victime est crue, soutenue et accompagnée.

Aujourd’hui, de nombreuses associations, collectifs, thérapeutes spécialisés sont présents pour accompagner les victimes de violences sexuelles à chaque étape de leur reconstruction.

Diffuser l’information au plus grand nombre et faciliter l’accès des victimes aux structures présentes pour les accompagner devient un devoir pour chacun d’entre nous. Les victimes ne confient leur souffrance que si quelque chose les incite à le faire. Lire un article peut les inciter à le faire.

En partageant cet article vous pouvez initier un élan et offrir à une femme, que vous pensez connaître mais dont vous ignorez tout, un début d’autre chose.

 

Valérie Pharès
Psychothérapeute
Membre de l’association Face à l’inceste
https://facealinceste.fr/

 

 

 

[1] https://facealinceste.fr/blog/actualites/le-nouveau-chiffre-de-l-inceste-en-france

[2]  Violences et rapports de genre- Enquête sur les violences de genre en France – E Brown, A debauche, C Hamel et M Mazuy

[3] Muriel Salmona  https://www.franceculture.fr/societe/inceste-la-psychiatre-muriel-salmona-denonce-une-impunite-effarante

[4] ibid

[5] Dorothée Dussy Le berceau des dominations – Anthropologie de l’inceste (Pocket P 185)

[6] Ibid; Pocket P182

[7] Helène Romano, Dctr en psychopathologie et psychothérapeute référente au CHU de Créteil

[8] Camille Kouchner- La familia grande (Seuil)

[9] Extrait de l’interview de Charlotte Pudlowski, autrice du podacst – Ou peut-être une nuit – franceculture.fr/societe/inceste-chaque-prise-de-parole-permet-a-dautres-demerger-selon-la-journaliste-charlotte-pudlowski

[10] Jeanne Defontaine – L’incestuel dans les familles – revue fraçaise de psychanalyse 2002/1 (Vol.66) P180

 

 

Quelques ressources :

Association internationale d’aide aux victimes d’inceste : AIVI
https://www.helloasso.com/associations/association-internationale-des-victimes-de-l-inceste

Pour faire un don à une fondation qui soutient des associations d’aide aux femmes victimes de violences – DAPAT : https://dapat.fr/

Un exemple de collectif qui accompagne les victimes d’abus:
https://www.abus-kintsukuroi.fr
https://youtu.be/OU0eg0_2Q3w 

Pour aller plus loin sur le sujet de l’inceste : https://www.memoiretraumatique.org/

 

 

Luttons contre les #violencesfaitesauxenfants #ViolencesSexuelles #StopPédocriminalité #metooinceste  #StopImpunité